Le généreux bûcheron
de Friedrich Reinhold Kreutzwald
Il y a très longtemps, un homme arriva dans la forêt pour couper des arbres. Il se tint devant le bouleau et voulut l'abattre. Le bouleau voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis très jeune et ai beaucoup d'enfants qui pleureront si je meurs! »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le chêne qu'il commença à couper. Le chêne voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis encore sain et fort, les glands ne sont pas encore mûrs et prêts à être semés! Comment y aura-t-il une nouvelle forêt de chênes si tous mes glands dépérissent? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le frêne qu'il commença à couper. Le frêne voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis encore jeune et hier j'ai demandé ma femme en mariage! Que va-t-il lui arriver, la pauvre, si je suis coupé? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers l'érable qu'il commença à couper. L'érable voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Mes enfants sont encore jeunes et je n'ai pas fini de les élever! Que vont-ils devenir si je suis coupé? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers l'aulne qu'il commença à couper. L'aulne voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je dois nourrir beaucoup de petits animaux avec mon jus. Que va-t-il leur arriver si je suis coupeé? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le peuplier qu'il commença à couper. Le peuplier voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Grâce au bruit de mes feuilles dans le vent, j'effraie les personnes malveillantes. Que va-t-il arriver au monde si tu me coupes? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le cerisier qu'il commença à couper. Le cerisier voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! J'ai encore plein de bourgeons et je dois fournir un abri à la grive pour qu'elle chante sur mes branches. Où les gens pourront-ils écouter les charmants chants des oiseaux s'ils s'envolent tous vers d'autres pays? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le sorbier des oiseleurs qu'il commença à couper. Le sorbier voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis presque prêt à bourgeonner! Où les grappes de baies pourront-elles ensuite grossir? Celles-ci nourrrissent les oiseaux en automne et en hiver. Qu'arrivera-t-il à ces pauvres petits si je suis coupé? »
L'homme entendit tous les arbres le supplier et il se mit à penser : si je ne peux pas couper les feuillus, alors je vais tenter ma chance avec les conifères. Il alla vers le sapin et voulut le couper. Ce dernier voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis encore jeune et fort, je dois faire grossir mes fruits et rester verdoyant l'été comme l'hiver pour que les gens admirent ma beauté. Où trouveront-ils un abri si je suis coupé? »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le pin qu'il commença à couper. Le pin voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis encore jeune et fort. Je dois rester vert comme le sapin. Quelle honte si je devais être coupé! »
L'homme entendit l'arbre le supplier alors il alla vers le genévrier qu'il commença à couper. Le genévrier voyant la scie se mit à le supplier :
« S'il vous plaît laissez moi vivre! Je suis la plus grande richesse de la forêt et porteur de chance pour tout le monde : je peux en effet guérir 99 maladies. Que vont devenir les humains et les animaux si je suis coupé? »
L'homme s'assit sur l'herbe et commença à réfléchir :
« L'histoire est plus étrange qu'un miracle, chaque arbre possède son propre langage et ses suppliques et refuse d'être abattu. Que vais-je faire si je ne trouve pas un arbre qui me laisse l'abattre tranquillement?
Si je n'avais pas de femme à la maison, je rentrerais les mains vides.
Soudain, un vieil homme à la longue barbe grise, la chemise argentée et le manteau fait d'écorces de sapin sortit de la forêt jusque devant le bûcheron et dit: « Salut! Pourquoi es-tu assis ici avec un si triste visage? Quelqu'un t-a-t-il fait du mal? »
L'homme répondit :
« Comment ne pourrais-je pas être triste? J'ai pris ma scie ce matin et uis venu dans la forêt. Je voulais couper un peu de bois de chauffage et le rapporter à la maison. Mais écoute ce miracle : soudain je me rends compte que toute la forêt est vivante et que chaque arbre a son propre esprit et son propre langage. Ils peuvent tous se plaindre et mon coeur n'a pas assez de gouttes de sang pour m'opposer à eux. Peu importe ce qui peut m'arriver mais je ne couperai pas un seul de ces arbres vivants! »
Le vieil homme le regarda plein de joie et dit :
« Je te remercie paysan d'avoir écouté les suppliques de mes enfants. Grâce à ta générosité on ne devra pas te faire de mal. Je veux te retourner cette faveur et que dans le futur tu ne vives plus jamais dans le besoin. Chaque arbre sauvé deviendra ton bonheur. Non seulement tu auras du bois de chauffage en permanence mais en plus ta maison sera bénie. Donc dans l'avenir tu auras juste à dire que ce que ton coeur désire et tu l'obtiendras. Cependant tu devras être conscient de ce que tu souhaites. Ne vois pas trop grand ! Dis aussi à ta femme et tes enfants de réfléchir à ce qu'ils souhaiteraient. Il restera juste à réaliser les voeux ou encore à transformer le malheur en bonheur.
Par conséquent, prends la branche en or et prends en soin comme de toi-même! »
Disant cela il donna la branche au bûcheron et ajouta :
« Si tu veux construire une maison ou encore effectuer des travaux utiles, va à la fourmillière et secoue la branche trois fois mais ne donne pas de coup de pied sinon tu risques de blesser les fourmis. Tu leur commandes ce que tu veux et ton souhait sera réalisé dès le lendemain matin. Si tu veux de la nourriture alors oblige la marmite à te cuisiner ce que tu désires. Si tu souhaites quelque chose de sucré alors montre la branche en or aux abeilles et fais les travailler. Elles te rapporteront plus de miel que ta famille pourra manger. Si tu veux du sirop alors demande au bouleau et à l'érable. Ils exécuteront ta demande immédiatement. Si tu les sollicites, l'aulne t'apportera du lait et le genévrier la santé. Des repas de possons et de viande seront préparés chaque jour par la marmite sans avoir besoin de tuer un seul animal vivant. Si tu as besoin de tissu, de soie ou de laine, demande le aux araignées : elles te tricoteront ce que tu veux. De cette façon tu ne pourras pas manquer de quelque chose : au contraire, tu en auras plus! Tout ceci est pour toi en te remerciant d'avoir écouté mes enfants et de les avoir laissé vivants! Je suis l'esprit de la forêt qui surveille les arbres. »
Ensuite le vieil homme fit ses adieux et disparut.
A la maison, le fermier avait une femme en colère qui l'attendait déjà avec un chien furieux. Et elle devint encore fâchée lorsqu'elle le vit arriver les mains vides.
La femme était en train de crier :
« Où est le bois que tu étais censé ramener? »
L'homme répondit d'une voix calme :
« Les arbres sont restés dans la forêt pour grandir. »
La femme, furieuse, dit :
« Je souhaite que les branches du bouleau soient transformées en métal et qu'elles te frappent le dos!
L'homme secoua tranquillement la branche en or et dit, de façon que sa femme ne l'entende pas : « Ce voeu sera réalisé pour toi! »
Alors on entendit la femme hurler :
« Aïe, aïe, aïe ! Comme c'est douloureux ! Cela transperce mon coeur! Aïe, aïe! Pardonne moi, s'il te plaît, pardonne moi ! »
Elle criait et, touchant les parties de son corps blessées, espérait que cela cesse. Lorsque l'homme jugea que la punition suffisait, il dit à la branche en or d'arrêter.
Après ce premier essai, le fermier réalisa que le vieil homme lui avait fait un don précieux. Il possédait une vieille grange dans la cour et il décida de tester également la force des fourmis. Il se rendit à la fourmillière, secoua trois fois la branche en or et cria :
« Construisez-moi une nouvelle grange dans la cour! »
Le lendemain matin après s'être levé, il constata que la grange était prête.
Il n'y avait pas d'homme plus heureux dans le monde que notre fermier. Ils n'avaient pas à se soucier de la cuisine. La marmite préparait tout ce que leur coeur désirait et servait même les repas à table. La famille n'avait donc plus qu'à manger. Les arignées confectionnaient des étoffes. Les taupes charruaient les champs et les fourmis les ensemençaient. En automne, les fourmis moissonnaient les terres. Ainsi personne ne devait effectuer le moindre travail. Et même lorsque la femme furieuse commençait à critiquer son mari ou à lui vouloir du mal, elle était à nouveau confrontée au pouvoir de la branche en or. Plus d'un homme aurait soupiré : si seulement j'avais moi-même la branche en or!
Le propriétaire de la branche en or vécut heureux car il ne désira jamais quelque chose d'impossible. Avant de mourir il la donna à ses enfants et leur enseigna tout ce que l'esprit des forêts lui avait lui-même appris. Il leur montra comment se comporter avec la délicate branche et les mit en garde contre les dangers de désirer des choses impossibles. Les enfants suivirent les recommandations de leur père et vécurent heureux jusque la fin de leurs jours.
Plus tard, dans la troisième génération, un homme qui ne respecta pas les mises en garde de la famille, hérita de la branche. Il fit des voeux démesurés sans aucun respect et fut la cause de l'usure de la branche. Au début, les voeux ne créèrent pas beaucoup de dégâts parce qu'il était possible de les réaliser. Mais l'homme arrogant ne s'en contenta pas et il commença vite à tester la force de la branche en espérant des choses impossibles. Ainsi un jour il demanda à la branche de faire descendre le soleil parce qu'il avait froid au dos. La branche en or réalisa le voeu car c'était une des choses les plus impossibles ! Mais à cause de ce voeu, des morceaux de feu du soleil brûlèrent l'homme ainsi que toutes ses maisons et tous ses champs ! Il ne restait plus rien ! Même pas le moindre signe d'existence d'une ferme ! Par conséquent personne ne sait où la ferme existait ni où on pourrait trouver la branche en or.
La morale dit aussi que le soleil brûlant effraya tellement les arbres qu'ils oublièrent leur langage et ne dirent plus jamais un seul mot.